Chirurgiens de l'impossible...

Publié le par lio21121

Ils ont pour nom : GRAUWIN, LE DAMANY, HANTZ, ACCOCE, GINDREY, DE CARFORT, MADELEINE, RONDY, RESILLOT, THURIES, AULONG et les autres…….

 

Les médecins, chirurgiens de l'impossible......honneur à vous.

 

« Allez où la patrie et l’humanité vous appellent. Soyez y toujours prêts à servir l’une et l’autre, et s’il le faut sachez imiter ceux de vos généreux compagnons qui au même poste sont morts martyrs de ce dévouement intrépide et magnanime qui est le véritable acte de foi des hommes de notre état. »

Baron Percy, chirurgien en chef de la grande armée aux chirurgiens sous-aides.1812"

 

Dr. Jacques GINDREY

 

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Lorsque Dien Bien Phu tombe, le 7 mai 1954, la garnison française compte 5 000 blessés (près d'un homme sur deux !), dont 3 500 grièvement atteints. Les antennes chirurgicales et les infirmeries de bataillon, envahies par la boue, abritent des centaines d'amputés, de blessés du ventre, de la tête ou du thorax, de victimes de fractures multiples. Certains croupissent depuis près de deux mois dans d'étroits boyaux à l'odeur pestilentielle. Faute de place, il a fallu renvoyer des unijambistes et des manchots ! Ces hommes ont été soignés avec une abnégation sans limite par une poignée de jeunes médecins.

 

Le Dr Thuriès, médecin de bataillon puis chirurgien d'antenne, a créé les installations médicales souterraines qui, au fil des combats, deviendront le mini-hôpital de Dien Bien Phu. Son rôle, au début de la bataille, est de pratiquer les soins de première urgence et de conditionner les blessés pour les transférer par avion vers l'hôpital Lanessan d'Hanoi, où ils sont pris en charge par le Dr Aulong, chirurgien confirmé. Après le déclenchement de l'attaque vietminh, quand les blessés peuvent encore être évacués par hélicoptère, le Dr Hantz les réceptionne à Muong Saï, au Laos, pour les conditionner et les envoyer au docteur Aulong. Lorsque les communications sont définitivement coupées et qu'aucun homme ne peut plus quitter Dien Bien Phu, il faut renforcer les moyens médicaux en déployant des antennes chirurgicales parachutistes dans le camp retranché.

 

Le Dr Hantz saute alors dans la fournaise. Pendant près d'un mois, il opère sans discontinuer, avant de connaître la captivité et la marche de la mort vers les camps de prisonniers. Quand les survivants du goulag jaune sont libérés, et parmi eux les blessés qui ne sont pas morts de l'absence de soins en captivité, c'est encore le docteur Aulong qui les accueille à Hanoi.

 

 

Les blessés de Diên Biên Phu sont principalement des poly blessés ou des polytraumatisés qui représentent 60% de l’ensemble des patients. Ces lésions sont engendrées par l’usage intensif d’un armement lourd (artillerie, mortier, mines, grenades). Les blessés par balles représentent 20% des pertes, et ceux par projectiles d’artillerie 65%. Ces statistiques rappellent celles notées au cours de la campagne de France en 1944-45. De nombreux combattants sont soignés, voire opérés, deux ou plusieurs fois. Enfin, plusieurs cas sont rapportés de blessés légers qui décèdent au cours de leur prise en charge, du fait de l’épuisement extrême causé par le manque de sommeil, les carences et l’intensité des combats.

 

Le blessé est pris en charge dès la ligne de feu ou par le poste sanitaire de bataillon. Après le ramassage, le médecin réalise un examen clinique axé sur les constantes vitales et les lésions traumatiques puis débute-la mise en condition. Le traitement comporte l’injection intramusculaire de pénicilline, de sérum antitétanique et de morphine. En cas de choc traumatique, une injection de mélange de déconnexion neurovégétative est réalisée. Les fractures sont immobilisées, les plaies vasculaires bénéficient d’un point de compression ou de la mise en place d’un garrot. Une fiche médicale de l’avant est rédigée.

 

L’évacuation a lieu vers l’antenne centrale avec les véhicules du Service santé. Toutefois avec l’intensification des combats et les nombreux dégâts matériel, l’évacuation vers l’antenne centrale ou les autres antennes chirurgicales se fera ensuite à pied ou à dos d’homme. L’arrivée à l’antenne chirurgicale après plusieurs heures a des conséquences redoutables sur l’état des patients, avec un allongement des délais de prise en charge et l’aggravation des états de choc. L’évolution de la bataille voit des blessés arrivant, de plus en plus nombreux, directement dans les antennes chirurgicales.

 

L’activité du chirurgien d’antenne se divise en trois phases : trier, réanimer, évacuer ; l’acte opératoire devant rester exceptionnel pour les urgences absolues. Ce que Boron résumait en ces termes : « trieur toujours, réanimateur souvent, opérateur parfois ». Le triage détermine l’état des patients, les gestes de réanimation à entreprendre, et les patients nécessitant un geste salvateur. Acte primordial, il est effectué par le chirurgien le plus expérimenté, avec examen du blessé, de la fiche médicale de l’avant, et prescription des gestes de réanimation que les infirmiers auront à réaliser.

 

Les listes opératoires et d’évacuation sont fixées. A Diên Biên Phu, le type très particulier de combat a entraîné de profondes modifications dans le fonctionnement des antennes chirurgicales, les blessés arrivant par vagues entières et engorgeant les abris de l’antenne centrale, puis ceux des ACP. L’afflux massif de poly blessés, de choqués, la volonté de traiter le plus grand nombre et l’absence de moyens d’évacuation ont amené chirurgiens et médecins à prendre des décisions douloureuses.

 

Les blessés sur un brancard, sont déshabillés, lavés et les constantes vitales notées. La réanimation débute avec la pose d’un accès veineux par canulation directe ou dénudation d’une veine périphérique. En cas de choc traumatique la mise en place d’une canule de Grigaux par voie fémorale ou sous-clavière permet un remplissage plus rapide. La libération des voies aériennes supérieures est réalisée. Une oxygénothérapie au masque facial est débutée. L’intubation trachéale n’est pas pratiquée à cause des impératifs de mobilité des antennes chirurgicales et en raison de la formation des infirmiers qui ne maîtrisent pas tous ce geste. En cas de difficulté d’accès aux voies aériennes, une trachéotomie est réalisée par le médecin ou le chirurgien.

 

La prise en charge des patients choqués repose sur 4 points cardinaux : le remplissage vasculaire et la transfusion, la déconnexion neurovégétative l’oxygénothérapie et l’antibiothérapie. Le sang est conservé dans de la glace parachutée avec les flacons, mais les réserves sont plutôt acheminées vers l’antenne centrale. Les autres antennes utilisent principalement le plasma, les solutés de remplissage et les analeptiques cardiaques (camphre, strychnine). Des transfusions bras à bras sont parfois réalisées dans les cas urgents, car des donneurs universels sont connus des chirurgiens. Une réinjection de Pénicilline et de Streptomycine est systématique, car les plaies sont souillées par des éclats métalliques et des débris telluriques et vestimentaires. Le projectile appelé « boue de rizière » est particulièrement craint car c’est un véritable bouillon de culture. Une sérothérapie antitétanique et anti gangréneuse est associée.

 

Aucun cas de tétanos n’est déclaré. Les cas de gangrène sont rares, sauf dans les dernières semaines de combat, où l’état de carence et d’épuisement des blessés a entraîné l’apparition de gangrènes foudroyantes. La réanimation est entretenue par une sédation utilisant des injections de mélange déconnectant et/ou de morphine selon l’état des blessés. Des injections de morphine à titre palliatif ont été utilisées chez des patients au-delà de toute ressource thérapeutique.

Après le tri et la réanimation, l’ordre des évacuations sanitaires est déterminé ainsi qu’un éventuel programme opératoire. Jusqu’au 26 mars 1954, les évacuations sanitaires sont réalisées par des C47 « Dakotas » ou par des hélicoptères Sikorski vers les hôpitaux militaires de Hanoï ou vers les antennes chirurgicales basés à Laï Chau ou Muong Saï.

 

Les équipages de l’Armée de l’air et les convoyeuses de l’air ont pris de nombreux risques afin d’amener les blessés vers les structures de soins, malgré les tirs de la DCA et les bombardements visant la piste d’aviation. Leur courage et les ruses utilisées ont permis l’évacuation de 326 blessés, entre le 13 et le 26 mars 1954, date de la décision d’arrêt des « evasan » après la destruction d’un   « Dakota » et l’immobilisation de l’équipage dans le camp retranché.

L’arrêt des « evasans » alors que les combats redoublent d’intensité et que les blessés affluent des plus en plus nombreux dans les antennes chirurgicales, entraîne un bouleversement de leur fonctionnement opérationnel. Les chirurgiens vont devoir opérer systématiquement les blessés le nécessitant et trouver la place nécessaire pour l’hospitalisation.

 

L’acte chirurgical restant exceptionnel dans les antennes en raison des contraintes de mobilité et le niveau technique des infirmiers étant variable, cela impose l’emploi d’un matériel d’anesthésie simple et résistant. L’anesthésie concerne surtout des patients choqués, traumatisés, ayant l’estomac plein. Elle est donnée selon la technique de la narcose semi-close avec de l’éther diéthylique grâce au masque d’Ombredanne, associée à l’injection de Nesdonal comme « starter ». L’entretien est effectué avec les mêmes agents. L’antenne centrale utilise un mélange oxygène-protoxyde d’azote pour l’anesthésie.

 

Les autres antennes, faute d’approvisionnement suffisant, gardent l’oxygène pour la réanimation et utilisent un mélange éther-air ambiant. Pour les interventions très courtes, la narcose est réalisée au masque de Camus avec une compresse imbibée de chlorure d’éthyle. L’analgésie est réalisée par l’utilisation de la morphine, de la Péthidine, ou par des injections de mélange déconnectant. La ventilation est manuelle ou spontanée avec le masque d’Ombredanne, et la perméabilité des voies aériennes est obtenue par une canule oropharyngée. La curarisation n’est pas utilisée. L’anesthésie locale à la Novocaïne est employée seule ou en complément de l’anesthésie générale.

 

Chaque acte opératoire doit être le plus court possible, car le nombre de blessés augmente après chaque attaque et il n’est pas rare que les équipes réaniment, anesthésient et opèrent pendant plusieurs jours consécutifs. Le repos est pris entre deux interventions sur un tas de toiles de parachute et les repas administrés grâce à des pailles pendant l’intervention.

 

Les soins postopératoires sont administrés dans les abris des antennes chirurgicales puis dans les abris réquisitionnés autour du PC selon les possibilités. Les blessés les plus graves restent à l’infirmerie, et les plus légers retournent se battre auprès de leurs bataillons d’origine, et sont pris en charge par les médecins des PA. De nombreux blessés ont été soignés deux ou plusieurs fois par le personnel des antennes. Les soins comportent la toilette, la réfection des pansements, l’alimentation, l’injection de morphine, de mélange déconnectant, de sang ou de plasma, et surtout le temps passé à réconforter les blessés.

 

La durée des traitements et les posologies sont déterminées en fonction des possibilités d’approvisionnement, des corvées d’eau et de ramassage des colis qui deviennent de plus en plus risquées. Le ravitaillement devient difficile, malgré les parachutages nombreux, car la taille du périmètre de largage se rétrécit avec l’évolution des combats et une grande partie des colis tombe au milieu des lignes adverses.`

 

Le 7 mai 1954, quand l’ordre de cessez-le-feu est donné, 2156 blessés ont été traités et 1154 interventions chirurgicales pratiquées, avec un taux de mortalité global de 2,9%.

 

Sources : Compilation de divers ouvrages des médecins cités plus haut

Publié dans DIEN BIEN PHU

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